Le jour où j’ai su que j’étais développeuse front-end
Il est des moments dont on se souvient parfaitement. De ceux qui nous marquent et nous construisent. Pour moi, ce sont ces trois jours étonnants à San Francisco en 2014 où j’ai assisté pour la première fois de ma vie à une conférence tech de renommée internationale.
Je m’appelle Fanny. Je suis développeuse web, principalement front-end, chez KissKissBankBank. Je code depuis bientôt 8 ans.
Un jour, j’ai découvert que j’avais ma place dans la tech. C’est drôle, parce que, pourtant, je codais déjà depuis 4 ans à l’époque.
J’ai commencé en tant qu’intégratrice HTML/CSS chez Dailymotion dans le service qui s’occupait de la pub et des mini-sites événementiels. J’ai appris sur le tas, auprès de développeurs très compétents. Et après 2 ans, j’ai rejoint l’équipe front de la plateforme. J’étais la seule femme de cette équipe.
En 2014, je faisais partie de la squad qui gérait l’intégration des utilisateurs via les réseaux sociaux sur la plateforme. Avec deux de mes collègues, Sébastien et Tristan, j’ai eu l’immense chance d’assister à la conférence du F8 cette année-là.
De l’émerveillement à la prise de conscience
Le F8, pour quelqu’un qui n’a presque pas participé à des conférences, c’est comme aller à la fête foraine. Il y a des friandises, des sandwichs, des boissons, de la musique, des animations partout. Des personnes qui présentent des technologies obscures (je parle ici des talks sur la performance des infrastructures serveur où je n’avais rien compris) ou révolutionnaires (React venait d’être open-sourcé l’année précédente et l’on présentait ici sa génèse). Des speakers enthousiastes et d’autres moins. Des tas de goodies (j’adore les goodies, surtout les tee-shirts et les stickers). Mais, surtout, c’est plein de développeurs/ses venant des quatre coins du monde et d’horizons différents.
J’ai discuté avec beaucoup de personnes à cette conférence. Et c’est là où j’ai compris que j’étais à ma place.
J’aime ce monde-là
J’aime coder. J’adore lire des articles sur des nouvelles technos qui sentent la peinture fraîche (Hype Driven Development, bonjour). Sur des patterns qui fonctionnent pour certaines problématiques mais pas sur d’autres. Sur des architectures qui se sont avérées être des échecs cuisants. Sur ceux qui ont écrit des tutoriels pour faire pousser des plantes avec leur Arduino. Sur l’incroyable avancée de la réalité virtuelle. J’aime tout cela et j’ai une facilité à en parler et à m’y intéresser.
Discuter avec des personnes de ce milieu m’a ouvert les yeux sur cette appétence naturelle que j’avais pour la tech. J’ai rencontré des gens passionnés. Parfois, complètement débutants, mais extrêmement curieux. D’autres fois, aguerris au web et très pédagogues. Chacun y allant de son expérience ou ses déconvenues. En somme, des personnes comme moi.
La reconnaissance des pairs
Au F8, j’ai parlé, pour la première fois, sans le masque de la débutante ou de la junior qui débarque dans une équipe. Ici, j’étais comme tout le monde. Une développeuse curieuse et intéressée. J’ai posé des questions, parfois très basiques, sans même me demander ce qu’on allait penser de moi et l’on m’a répondu sans me juger. Parfois, c’est moi qui ai ajouté une information complémentaire à la discussion.
J’ai failli tester les Google Glass à cette conférence. Un développeur, avec qui je discutais, voulait me montrer à quel point c’était révolutionnaire. À moi, petite Fanny sans expérience, incroyable ! Hélas, elles n’avaient plus de batterie, j’ai dû me contenter de l’épisode des Simpsons pour un ersatz d’expérience.
Ce que j’ai ressenti surtout à ce moment-là, c’est la sensation de faire partie activement d’une communauté et d’y participer par mon travail, mes envies et mes compétences.
Le mansplaining
Comme à toute conférence tech, pour une femme, il y a souvent ce moment gênant, parfois court, parfois terriblement long, où quelqu’un nous parle comme si on était débile (ou pas à notre place).
Ce moment a été très court au F8. J’étais allée sur le stand d’Instagram, fraîchement racheté par Facebook, où un des développeurs m’expliquait comment avait été codée la mosaïque qu’il présentait spécialement pour le F8. Un autre développeur écoutait d’une oreille à côté. J’ai posé une question sur la manière dont il récupérait les photos, dénotant d’une ignorance très claire sur la façon dont le backend pouvait fonctionner. Et l’autre, qui écoutait distraitement, sans détour, lance :
“Maybe, you should learn some algorithmic.”
Je me rappelle clairement avoir été choquée par son intervention totalement inappropriée dans la conversation. Le développeur du stand a ignoré sa remarque et a continué à m’expliquer ce que je voulais savoir. L’autre s’est retourné.
J’avais compris qu’il n’aurait jamais dû me parler de la sorte. Que j’avais le droit de poser des questions sans pour autant être une imbécile. Et, quand bien même j’étais une imbécile, j’avais le droit de trouver toutes ces informations intéressantes et passionnantes. Oui, j’étais à ma place.
Je suis revenue de ce voyage pleine d’idées, de motivation et de confiance. J’ai eu le courage de faire un talk en interne à mes collègues pour raconter notre aventure. Et à partir ce moment-là, j’ai su que je serai capable de me présenter partout en tant que développeuse web sans aucune gêne. Dans les conférences, en entretien d’embauche ou en présence d’autres développeurs.
La vraie leçon dans cette histoire
En réalité, cet émerveillement, cette motivation, cette confiance, j’aurais dû les trouver avant. Dans mon équipe, dans les meetups ou avec moi-même.
Les mentalités, et surtout mon état d’esprit à l’époque, m’avaient façonnée de manière à penser que je n’étais pas à ma place.
Cet article, je l’ai pensé il y a trois ans, au moment même où je suis revenue de ce voyage. Je ne l’écris que maintenant. Il n’y a pas de mauvais moment, juste celui où on a moins peur pour se lancer. J’ai envie de raconter cette histoire pour tous ceux, mais surtout toutes celles, qui pensent qu’ils/elles n’ont pas leur place dans la tech.
Parler au féminin
Avoir sa place, c’est avant-tout savoir pourquoi on est dans ce milieu et l’aimer un minimum. Il n’est pas besoin d’être la meilleure ou ultra-compétente. Juste être assez curieuse pour apprendre et poser des questions. Juste être assez confiante pour enseigner le peu qu’on a appris. J’aime me rappeler régulièrement qu’on a le droit et la légitimité :
- de poser des questions lorsqu’on ne comprend pas sans passer pour la cruche de service,
- d’avoir un niveau moyen et de ne pas être tout le temps à fond sur la dernière techno en vogue,
- d’être débutante et de dire qu’on est développeuse.
Mais, également :
- d’être brillante et de ne pas s’excuser de son talent,
- de réclamer des présences féminines dans les conférences tech,
- de se battre pour la place des femmes dans la tech sans passer pour une hystérique.
Participer et contribuer en tant que femme
Il existe plein de lieux où la bienveillance est de mise. Où l’on peut rencontrer des débutantes, des professionnelles, des personnes en reconversion, des mentors. Coder en toute tranquillité. Apprendre à faire une boucle ou construire un hash. Monter son projet sur un framework sans avoir écrit une seule ligne de code auparavant. Avoir cet émerveillement et cette confiance que j’ai eu bien trop tard. Personne ne devrait avoir besoin d’aller à San Francisco pour savoir qu’elle est dev !
Aujourd’hui, je travaille dans une équipe d’une dizaine de personnes et nous sommes quatre femmes. La mixité (et pas que celle des genres), ce n’est pas juste une histoire de quota, mais aussi une histoire d’apport personnel. La richesse vient des différences et nous sommes dans un milieu où le collaboratif fait notre force.
Je veux plus de femmes dans la tech pour un web plus riche et plus intéressant, pour des robots plus élaborés et plus farfelus, pour des façons de penser plus ouvertes et plus accueillantes.
Ma vision aujourd’hui
Je pense à rester vigilante sur les discours biaisés, sur la tendance au mansplaning ou pire, au harcèlement dans le milieu du travail.
Je soutiens avec conviction les initiatives qui sont mises en place pour intégrer les femmes dans la tech. Je réfléchis aux mots qu’il faut apprendre à véhiculer et aux comportements bienveillants qu’il faut enseigner.
Je songe avec sourire au moment où nous arrêterons de dire “les femmes dans la tech”.
Parmi les jolies initiatives pour les femmes dans la tech : Women on Rails, Ladies of code, Duchess. Et aussi, des lieux mixtes dont je salue le code de conduite comme ParisRb.